Pour un Pacte fiscal
par Cyril Benjamin CASTRO
Chef d’entreprise et Professeur
Décembre 2012
Depuis plusieurs années, en France et en Europe, le sentiment anti-impôts se développe et s’accentue, c’est un fait, depuis 6 mois. Un véritable sentiment d’insécurité fiscale pourrait-on même dire ! A quelques contre exemples près et de moins en moins nombreux (fiers de payer leur tribut au pays), chaque famille, chaque groupe, chaque corporation connaît cela.
Sentiment anti-impôts ou Réalité ?
Est-ce un sentiment de frustration qui s’ajoute au sentiment pour certains de la perte de repères familiaux (recomposition, mariage pour tous, place du père), sociologiques (évolutions socio-professionnelles instables et incertaines, besoin d’instaurer des règles de plus en plus restrictives), ethniques (immigration, concentration, montée voire dérive des communautarismes), moraux (perte d’exemplarité, corruption somme toute marginale mais de plus en plus mise en évidence, laxisme supposé de la justice alors que nos prisons n’ont jamais été aussi pleines), humains et écologiques (place de l’Homme dans la Société, la production, la communication, la consommation, le réchauffement climatique inquiétant, la pollution multi-formes) ?
Est-ce un sentiment qui s’additionne à l’échec de l’Europe à proposer un Avenir d’union, de solidarité, de croissance durable, d’apaisement général, de protection ?
Ce sentiment s’ajoute-t-il à l’impuissance plus globale face à une mondialisation qui rééquilibre – lentement et inégalement dans les faits- l’économie mondiale ?
Ou bien ce sentiment repose-t-il sur des données tangibles et profondes ?
Concrètement c’est une réalité à triple entrées qui explique la frustration, l’étouffement puis la colère vis-à-vis des impôts, taxes et charges qui accompagnent les programmes économiques de tous les politiques de toute tendance, qui nous sont présentés depuis 5 ans (aux présidentielles françaises de 2012, aucun candidat n’a formellement soutenu la baisse des impôts), inversant une action décennale (1998-2008) unanime.
La première entrée ou évidence est que le niveau de ponction a atteint un climax général, avec plus de 56 % de prélèvements obligatoires à redistribuer (vers où ? qui se prononce réellement ?). Ceci est le reflet de 5 facteurs qui se sont justifiés un à un, mais qu’il convient à ce stade de regarder dans leur ensemble avec objectivité :
1) Hausse des taux globaux de prélèvements (IR, ISF, TVA, CSG, déplafonnement,…)
2) Suppression des « niches », qui allégeaient la facture fiscale individuelle avec des résultats macro-économiques plus ou moins probants. Certains « malins » en profitaient légalement. Le discount, comme pendant les soldes, réjouissaient dans un premier temps du moins ceux qui en bénéficiaient. Le marketing politique, parfois clientéliste, faisait alors merveilles : « J’ai 50% d’impôts en moins en investissant 2, 3, ou 4 fois le montant de mon impôt initial, avec des risques et un pouvoir d’achat immédiat réel amputé d’autant pendant 5, 8, 10 ans ! Mais je suis content !… »
Il ne s’agit pas ici de défendre toutes ces niches (épinglées largement par la Cour des comptes), mais de faire concorder leur essence à la psychologie du contribuable
3) Les taxes sont partout : Sans remonter aux sketches des Inconnus en 1988, il est à noter que depuis 6 mois, 25 impôts et taxes ont été de fait créés ou augmentés, sans pour autant alléger ceux qui pèsent sur le travail, la compétitivité, la performance entrepreunariale : capital, travail, consommation, habitats sont sanctionnés avec des taux aussi accrus que les pollutions et addictions (dix à cent fois plus rapidement que les fraudes, les délits et les trafics) et souvent les nuisances engendrées par celles-ci n’étant qu’un prétexte à prélèvements et non accompagnement d’une politique de fond.
L’exemple, loin d’être anecdotique, de « l’impôt partout » et du « carcan absurde » peut être donné par la PLF 2013, qui prévoit la limitation pour les sociétés de la déductibilité des intérêts d’emprunt, vécu comme un piège par les chefs d’entreprises. En effet, on limite les charges d’emprunt s à déduire pour obliger les entreprises à renforcer leurs fonds propres par les actionnaires. Mais dans le même temps, le même texte, on introduit une taxe de 3% sur les dividendes de ce capital investi. On n’incite pas à emprunter ; on n’incite pas à recapitaliser ; comment investir alors ?
4) Une partie de plus en plus grande de la population, citoyenne ou non, est – partiellement – exonérée, ce qui pèse sur ceux qui restent, essentiellement les classes moyennes, créant par une redistribution mal expliquée un malaise latent devenu au fil des ans une colère d’injustice. Un lissage des effets de seuil et une plus grande progressivité aideraient ici
5) Un manque de perspectives d’amélioration : Cette pression fiscale est elle suffisante (même nécessaire) pour combler le gouffre des déficits ? Quand s’allègera-t-elle ? N’est-on pas durablement dans un système d’entraide ambigu, avec de toute façon une diminution des prestations moyennes face à une démographie positive ?
La deuxième évidence est la complexité de notre fiscalité générale, fruit d’un empilement politique et économique, d’une évolution mondiale et des réponses parcellaires, sporadiques et souvent incohérentes apportées par une technocratie de haut niveau mais privée d’un contact direct, notamment avec les PME.
La troisième évidence est la mouvance fiscale, dénoncée depuis 10 ans par les entreprises, grandes et petites, et depuis 2 ans par les particuliers des plus fortunés et des classes moyennes. On doit comprendre qu’un Etat, comme une entreprise le fait après chaque reporting trimestriel, a besoin de s’adapter. Mais gouverner c’est prévoir et l’Etat doit s’engager à long terme, se recentrer, mieux mutualiser ses ressources, investir dans sa jeunesse. Après tout une société peut changer sa stratégie chaque trimestre en fonction de ses clients ; l’Etat doit aussi tenir compte de ses clients contribuables qui ne peuvent pas payer toujours plus !
Comment alors peut s’en sortir un Etat protéiforme (département, région, nation, Europe), qui doit assumer en pleine crise une cohésion sociale, une dette trentenaire à stopper puis à résorber, et un maintien d’un tissu économique prêt à rebondir – voire d’un modèle social datant des 30 glorieuses, désormais lointaines ?
Il ne s’agit pas d’être contre l’impôt, mais de proposer des pistes partagées d’une fiscalité sinon juste mais au moins acceptée.
Une solution unique n’existe pas mais 3 pistes, 3 engagements, 3 serments doivent impérativement et rapidement être engagés, au risque de couper (ou de morceler << façon puzzle >>) un pays, peut-être encore grand, dans un monde plus concurrentiel, plus individualiste et plus inégalitaire.
Les 3 serments : faire plus simple ; plus efficace ; plus européen…
Premièrement, il convient de faire la chasse aux gaspillages en même temps qu’à la fraude, une partie de cette dernière s’expliquant aussi par les premiers.
En ce sens il faut tout d’abord, sur le seul critère de l’efficacité, définir les niveaux administratifs nécessaires et annuler précisément les doublons, sources de gaspillage et de complexité (même d’opacité) entre les strates locales, départementales, régionales, nationales et européennes, celles-ci devant étre renforcées mais surtout expliquées. En effet comment comprendre avec une productivité et une informatisation accrues que le nombre de fonctionnaires ou agents ait augmenté en 20 ans alors que la France n’était déjà pas sous administrée.
Deuxièmement il faut courageusement étudier poste à poste les dépenses nécessaires afin de revenir au rôle souverain, utile et efficient de l’Etat, compatible avec un niveau de prélèvements juste et concurrentiel dans son ensemble. il convient de constater que nous construisons en France nos budgets « à l’envers », et ce depuis –trop- longtemps.
En effet nous cumulons les dépenses sans revue en profondeur et puis nous regardons où prendre les sommes correspondantes (plus le déficit, vol de l’avenir de notre jeunesse), sans se soucier de savoir si les prélèvements seront supportables ou supportés.
<< La France pays riche y pourvoira >> !… Mais la France, c’est nous tous !
Ainsi à bout de souffle nous nous privons des moyens concrets de financer l’avenir.
Il serait urgemment nécessaire de partir de ce qui est proprement à financer pour faire fonctionner un pays aujourd’hui et demain et de le limiter à ce qui peut, poste par poste, être demandé à chacun, de manière plus justifiée que soit disant juste. Ne plus fonctionner avec des « ballons » de dépenses colmatés par des « rustines » de recettes prises aux moins défendables puis après actions des lobbies aux moins défendus, in fine les fameuses classes moyennes !
Pour parvenir à ce paradigme fiscal, comme il a été signalé, une revue des dépenses doit être effectuée, en les classifiant en 3 catégories et 3 critères, dont les premiers sont à privilégier :
Les catégories fondamentales
+ ce qui relève des devoirs régaliens de l’Etat (sécurité, défense, justice, auxquelles s’ajoutent maintenant de manière fondamentale les règles environnementales)
+ ce qui relève d’un Etat investisseur (infrastructures, éducation, recherche, énergie)
+ ce qui relève d’un Etat protecteur (assurance, santé, revenus minima)
Les critères exigeants
+ efficacité long terme
+ efficacité court terme
+ non efficacité ou faiblesse
Avec cette hiérarchie, on élimine ce qui est inutile sans souci des pressions en mettant en avant tout ce qui concourt à long terme au bien être, à l’environnement, à l’industrie technologique, médicale ou alimentaire, y compris, sans esprit idéologique, avec des plans nationaux et transnationaux ambitieux, réalistes et contrôlés.
C’est ainsi que fonctionnent en partie les Etats-Unis.
C’est par exemple aussi avec cette méthode que la Chine rattrape à grand galop son retard, avec une efficacité masquée par le fait que les classements scientifiques ne recensent que les publications en anglais, alors que 2/3 produites par la Chine le sont en chinois.
Enfin troisièmement, il convient de faire revenir l’Europe, moins brouillonne et plus sûre, au cœur des politiques et dans le cœur des peuples !
Mutualiser nos recherches, nos forces, nos volontés, et pas seulement nos dettes et handicaps, n’est plus aujourd’hui un Idéal intelligent mais plus prosaïquement une nécessité. Car nos concurrents d’aujourd’hui et peut-être nos adversaires de demain sont communs à tous les pays d’Europe, qui en est leur principale cible.
Il faut savoir redonner un sens à la dépense publique (et pas un sens unique) à tous ses niveaux, donc réfléchir, analyser, décider et communiquer. Ecouter aussi car les peuples ont à dire et chaque catégorie, de manière transnationale, sait proposer, aux niveaux patronal, syndical, par métier, par sensibilité, par philosophie peut et doit apporter sa pierre.
Pour cela il nous faut donner autant de perspectives que d’espoirs à des Européens, des Français, notamment nos jeunes, de plus en plus anxieux à juste titre on l’a vu, mais aussi de plus en plus savants et impliqués, qui sont pour l’émulation mais qui refusent une concurrence interne stérile, qui sont pour une consolidation de nos ressources et savoirs, pour construire ensemble et non pas pour un espace rétréci dans ses ambitions et handicapé par des règles concurrentielles qui ne s’appliquent qu’à ceux qui s’en réclament exonérant de toute contrainte les acteurs extra-territoriaux. Cette proposition n’est pas une révolution mais une remise en ordre de marche, constructive et politique. Ce bon sens, les peuples vont l’imposer.
Nous comprenons que notre place est à prendre et que nos positions sont ouvertes. Il ne faut pas s’en plaindre mais s’en féliciter, et très vite agir et reconquérir positivement et pacifiquement bien sûr sur les plans économiques, culturels et sociaux un monde qui nous regarde autant qu’il nous lorgne et qui a plus que jamais besoin de nos valeurs.
Et ainsi chacun allant dans le même sens – un sens voulu autant que consenti – pourra s’engager à apporter financièrement et spirituellement à cette construction politique sur le plan national puis européen, nécessaire et donc juste.
Vers un Pacte fiscal
Les dirigeants doivent donc, de manière courageuse, proposer un véritable contrat fiscal à chacun, devenu garant, et respecter un contrat social, protégeant plus qu’assistant, volontaire plus qu’inhibant, porteur d’avenir tangible pour la jeunesse plus que de rêves.
C’est ce contrat fiscal entre acteurs impliqués et responsables et reconnus comme tels, qui tient compte des réalités difficiles du moment, auxquelles chacun doit contribuer et qui doit être établi sur le long terme, que l’on doit mettre en place. Vite. Avec des règles simples parmi lesquelles on regardera favorablement les 10 suivantes :
1) Une règle d’or sur les dépenses primaires, évoquée (ironie de l’histoire) dès 1975 par François Mitterrand, alors 1er secrétaire du PS. Une règle d’or qui exclut les investissements de recherche, de défense et de coopération au développement du tiers monde, ces points devant être mutualisés à terme car ils concernent tous les Européens. Et une règle d’or enfin qui tienne compte des besoins spécifiques liés au dynamisme démographique de chaque entité
2) Délivrance d’un quitus fiscal réel, pour les exilés fiscaux hors expatriés temporaires, incluant la contribution au remboursement de la dette des Etats d’origines (non pas les 120.000 € par foyer français mais au prorata des richesses non productives possédées sur le territoire avant le départ, soit 1,5M€ de plus pour Gérard Depardieu par exemple, ce dernier ayant plus contesté les manières que les fonds…)
3) Approbation d’impôts nouveaux au 2/3 des Assemblées réunies
4) Suppression des impôts « poids mort » – il y en a- qui ne rapportent pas plus qu’ils ne coûtent 3 années durant, et limitation des hausses d’impôts, taxes et charges, après équilibre accepté par tous, à la hausse de la productivité réelle
5) Paiement des besoins de solidarité ne pesant plus que sur le seul travail
6) Encouragement aux risques commerciaux et industriels par l’innovation la durée de travail sur la base exclusive du volontariat, contrôlé par des syndicats forts et un vrai partenariat social
7) Relèvement des seuils fiscaux et sociaux bloquant et lissage progressif des effets de seuil. Il est à savoir que le passage de 50 à 99 salariés des contraintes supplémentaires affectées aux entreprises peuvent créer rapidement 500.000 emplois, et construire une tissu solide d’entreprises de taille moyenne pouvant ainsi mieux exporter dont la France manque cruellement (contrairement à l’Allemagne ou même l’Italie)
8) Instauration d’un impôt écologique et social aux frontières de l’Europe
9) Encouragement à l’excellence, en appliquant des règles également contraignantes à tous les acteurs internes ou externes du continent
10) Nouvelle vision de l’impôt non pas comme un ennemi, une sanction mais comme un honneur de réussite dans un pays ou un continent qui renoue avec le succès
Ainsi chacun étant acteur, responsable et contrôleur de l’Avenir, acceptera de payer son juste dû à un Etat efficace, décomplexé et soucieux des équilibres internes et externes, ouvert aux développements de tous les autres dans un esprit coopératif…
… En un mot : un impôt juste dans un Etat totalement justifié.
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